L’enfumage social ou l’art de maintenir les populations dans la peur à leur insu
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L’enfumage social (ou « social gaslighting ») est un moyen répandu de maintenir les populations dans l’insécurité. Et ça, à leur insu.
Autopsie d’un moyen très classique d’invisibiliser la menace par l’utilisation d’une novlangue subversive qui entretient la confusion dans les esprits.
Les mots, prescripteurs de réalité
Pour être en mesure de penser adéquatement notre quotidien, nous avons besoin de mots qui décrivent précisément ce qui est se passe pour nous.
Plus nous avons de mots pour le faire, plus nous pouvons mettre de nuances sur le récit que nous faisons de notre réalité. Par conséquent, nous sommes en mesure de ressentir notre vécu avec plus de nuances et de finesse.
Si nos mots sont vagues, notre perception de notre vécu sera vague également.
La subversion, ou l’art d’inverser les valeurs
Les mots possèdent chacun un « nuage de sens » qui associe des croyances, des valeurs et un récit interne à chacun d’eux.
Or, lorsque l’on subvertit le sens des mots, celui-ci va être modifié pour être remplacé par son opposé.
Un exemple très connu est la novlangue de Georges Orwell, dans son livre « 1984 ».
Un exemple : le « Ministère de la Paix » était en fait le ministère chargé de la Guerre.
Je donne d’autres exemples (actuels) plus bas dans l’article.
Comment la confusion intérieure naît de la subversion
Le sens des mots a beau avoir été modifié, une part de nous plus « animale » sent instinctivement qu’il y a un problème.
Mais, bernés par le discours en apparence logique qui nous est présenté, 1/ notre mental n’arrive pas à cerner la source du malaise ressenti.
2/ S’en suit une confusion intérieure due à la recherche compulsive de l’origine de l’inconfort ressenti.
3/ Notre mental ne sait comment traiter l’inconfort ressenti et le discours entendu. Quelque chose sonne faux.
4/ Cela crée une transe de peur (souvent inconsciente) très favorable à la manipulation, puisque notre mental va chercher des moyens accessibles de se rassurer. 5/ En se conformant aux ordres donnés par une figure d’autorité par exemple.
L’enfumage social auquel nous faisons face depuis quelques décennies
Gaslighting (enfumage) : mot anglophone désignant un type d’abus psychologique où on tente de faire douter l’individu de propres ses perceptions, en tentant de « l’enfumer » par un discours trompeur (manipulation)
Enfumage social : manipulation à grande échelle pour empêcher les individus de penser correctement leur réalité et les maintenir sous emprise
Quand je me penche sur les dernières décennies, il me semble percevoir assez clairement un glissement vers une société d’une violence sociale toujours plus grande, et à l’autoritarisme grandissant. Le prétexte avancé est systématiquement le maintien de la prospérité, de l’ordre social et de la prospérité. #BenVoyons #FairePasserLaCouleuvre
Je me suis longtemps posée la question de ce qui avait rendu cela possible, jusqu’au jour où j’ai vu l’excellente vidéo de Franck Lepage qui fait une magnifique démonstration de la langue de bois :
La prophétie de Georges Orwell se trouve réalisée aujourd’hui. On nous a peu à peu supprimé tous les mots négatifs du vocabulaire qui nous permettait de nommer négativement le capitalisme, et donc de le penser négativement. On nous les remplace par des mots positifs.
A partir du moment où on n’a plus que de la pensée positive, on n’est plus en démocratie, puisqu’on ne peut plus penser les contradictions du capitalisme.
Les figures de style utilisées en langue de bois
– euphémismes : expression atténuée d’une notion désagréable ou choquante (ex : « dégâts collatéraux » pour les morts d’une guerre)
– oxymores : allier 2 mots de sens contradictoires (ex : croissance négative)
– antiphrases : mot ou phrase utilisé dans un sens contraire au sens véritable par ironie ou euphémisme (ex : plan de sauvegarde de l’emploi)
– faux-amis : méfions-nous du côté positif associé au mot utilisé (ex : réforme)
– faux-ennemis : les mots employés donnent une connotation négative non justifiée (ex : charges sociales)
– sigles : abréviation d’un groupe de mot sous forme de lettres, devenu incompréhensible car personne ne se rappelle précisément ce que ça veut dire (ex : RGPP)
– technicisateurs : transformer l’appellation d’un travail peu qualifié pour lui redorer l’image (ex : balayeur => technicien de surface)
– enjoliveurs : améliorer la perception du métier en rajoutant des mots pompeux (ex : caissière => hôtesse de caisse)
– pléonasmes : terme ou expression qui répète ce qui vient d’être énoncé (ex : démocratie participative => comment une démocratie ne pourrait pas être participative ?)
– etc.
(source : Atelier « Désintoxiquer le langage » – Scop « L’ardeur »)
La finalité de ces procédés d’enfumage social
Ces procédés d’enfumage social sont utilisés à l’échelle de la société pour justifier et faire perdurer, entre autres :
– le capitalisme et le néo-libéralisme
– le fonctionnement inadapté de l’institution scolaire et la reproduction sociale qu’elle perpétue
– la domination adulte sur les enfants
– une forme de répression sociale (moralisation) ou politique (autoritarisme)
En voici quelques exemples non exhaustifs :
Résister à l’enfumage social
On voit bien qu’il s’agit ici d’une langue de bois et d’un totalitarisme invisible qui emprisonne l’esprit dans des mots, qui ne sauraient être ajustés à la menace que le corps ressent intuitivement sous ces mêmes mots.
Impossible dans ce cas de sortir de l’insécurité ressentie, accompagnée d’une transe de peur. Car celle-ci n’est souvent pas perçue. Or, pour sortir d’une prison, encore faut-il savoir qu’on y est enfermé !
Et ce type de manipulation prend tellement souvent l’apparence d’une logique rationnelle qu’il est difficile de l’identifier quand on n’y est pas habitué.
Celle-ci fait disparaître les intérêts contradictoires au profit d’un bonheur pour tous que personne ne saurait vouloir troubler.
Voilà pourquoi, selon moi, le glissement qui se produit depuis plusieurs décennies nous laisse souvent démunies.
En effet, il est difficile de trouver à redire sur la pensée positive qui nous entoure, alors que nous sentons confusément qu’il y a un problème. Et nous sommes nombreuses à avoir constaté la dégradation du climat social depuis déjà un moment.
Le principal outil à développer pour résister, c’est d’apprendre à clarifier la source de la confusion. En commençant par mettre des mots justes sur sa réalité et ce qu’on ressent. C’est déjà un bon début.
Si on est au fait de ce qui se passe en nous, il deviendra beaucoup plus difficile de nous faire prendre des vessies pour des lanternes !
Comment résister à cette subversion du langage qui nous insécurise ?
Nous pourrions avoir grand besoin d’une cure de désintoxication de la langue de bois pour repenser notre quotidien hors des couleuvres qu’on a voulu nous faire avaler !
Et surtout :
– apprendre à nommer correctement et avec précisions nos états intérieurs, pour muscler notre baromètre interne
– rester vigilantes face à ce que nous entendons, surtout si nous sentons un malaise diffus ou une sensation qu’il y a un manque de justesse dont on ne saurait pas nommer l’origine ou argumenter. Dans ces cas-là, attention, potentiel danger !
Si tu veux apprendre à mettre des mots justes sur ce que tu vis, écris-moi ici.